Comme le rappelle Chris Marker dans un article – le seul qu’il ait jamais publié dans une revue depuis son entrée en cinéma – sur Vertigo, Proust donne avec un sens rare de la préméditation involontaire un nom féminin à l’opératrice de ses liaisons avec la mémoire – une Madeleine :
« Que l’héroïne de Vertigo d’Alfred Hitchcock, un film qui entre cent autres thèmes traite de la recherche folle d’un temps perdu, s’appelle Madeleine, c’est le genre de rencontre qu’on peut saluer d’un sourire connaisseur sans en exagérer la portée. Mais combien d’embranchements décisifs de nos vies ont reposé sur des rencontres encore plus ténues ? Celle-là suffit à introniser Alfred au côté de Marcel, et à le prendre aussi pour guide dans ce voyage à travers la mémoire ».
Chris Marker, “A Free Replay (notes sur Vertigo)“, Positif n°400, juin 1994
Qu’est-ce que Madeleine, donc, sinon le nom d’un personnage féminin migrant du paradigme fantastique du Tableau ovale (1842) de Poe (via la Madeline de La Chute de la maison Usher adaptée par Epstein en 1926) vers un paradigme technique (L’Invention de Morel de Bioy Casarès en 1940) et rencontrant en Vertigo en 1958 (via le roman de Boileau-Narcejac D’entre les morts), l’esquisse proustienne d’une théorie de la mémoire et d’une écriture de l’affect ?
Madeleine serait donc le nom d’un corps féminin qui relie, via une tradition poétique ouvertement revendiquée, deux interrogations qui intéressent l’archéologie des média : la question de l’affect (interrogeant les circonstances médiales, le sensorium – Benjamin, Kittler, Huhtamo) et la question de l’inscription (interrogeant la notion de médium au sens de support d’un dispositif de mesure).
Mais plus que l’affect d’un corps jouisseur, qui serait celui du bénéficiaire de la capture numérique, c’est surtout via la mesure de l’affect du corps féminin (et même parfois de l’émotion produite par lui, car rien n’échappe à la mesure) que se déploie cette généalogie. Notre hypothèse sera ici de dévoiler une chaîne de réécriture lancinante qui trace une ligne droite de l’imaginaire lyrique et de ses réécritures fantastiques vers les usages algorithmiques induit par une affectométrie, une anthropométrie affective que les rapports de genre ont construit durant la mutation technologique de l’épistémè 1900. L’algorithmique marquant peut-être une des premières esquisses d’une épistémè 2000 dans le champ médiatique, on voudra suggérer ici qu’elle ne peut plus désormais faire l’économie d’une analyse féministe de ses fondements médiatiques.
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